Journal d’un modèle vivant

“La pudeur. Etre pudique. Je suis pudique. On a beau avoir de l’expérience. Déjà huit années d’expériences. Je peux dire que je suis une ancienne. Et pourtant. A chaque fois, c’est le même défi, la même appréhension, la même immense timidité qui m’anime à l’intérieur.  La pudeur est un sentiment très mystérieux, et indomptable. Je ne m’habituerai jamais d’être nue sur l’estrade. C’est à chaque fois un nouveau défi pour moi. Je le fais parce que c’est mon métier, parce que ce qui m’importe dans le métier de modèle, loin d’être nue, c’est l’acte de poser, et ce qu’il engage à tous les niveaux, engagement poétique, politique, engagement  de toute ma personne. Mise à  nue. C’est un acte fort de résistance. Poser est encore un des seuls endroits dans le monde, un des seuls espace-temps où les êtres humains sont libres. Je suis libre de vous proposer ma parole corporelle, ma manière de me manifester au monde, et vous êtes libres de l’interpréter selon votre parole corporelle. Avec votre corps, votre mémoire, votre révolte, votre mystère. Votre sensibilité. Quelle absurdité de poser, quelle absurdité de dessiner, acte si éphémère, si désintéressé, si tellement pas rentable dans notre société d’hyper consommation, c’est là que commence la résistance, et toujours je vous suivrai dans ce sens-là artistes peintres illustrateurs sculpteurs dessinateurs, élèves en écoles d’art. La liberté d’expression, de création, la liberté d’être. Toi, moi, par nos corps engagés, toi ta main, ton regard, moi tout mon corps, nous avons quelque chose à dire et nous continuerons à le dire, nous avons d’autres mondes à offrir, d’autres mondes sont possibles… Par les lignes de mon corps, par les lignes de ton crayon, nous bâtissons de nouveaux horizons, des fenêtres qui s’ouvrent,…nous effleurons l’utopie, le temps d’un instant de pose, et d’interprétation, nous l’embrassons.”