Jours de France

En cette sinistre période de désertification sociale, la nostalgie en vient peu à peu à infecter le moral de bon nombre d’entre nous, privés de la plupart des habitudes de notre quotidien, si insignifiantes en temps normal, mais ô combien indispensables à notre bien être lorsque celui-ci est à son tour menacé.

Qu’en est-il à présent de ces lieux de convivialité par excellence où l’on pouvait tousser en toute liberté, maudire les bambins mal élevés toujours en train de s’attirer l’attention en poussant d’horribles hurlements suraigus, se plonger dans la lecture d’un magazine malmené par moultes mains indélicates laissant deviner l’orientation politique du praticien ?

Vous avez deviné, je parle bel et bien des salles d’attente, ces forums d’opinions à l’emporte-pièce, ces étouffoirs surchauffés abritant un bouillon de culture microbien à faire pâlir de jalousie l’institut Pasteur.

Et puis, et puis, et puis…

Il y avait Jours de France, magazine-phare des salles d’attente d’un autre temps, qui faisait rêver les mamans défraîchies par le baby-boom, épuisées par de longues veilles au chevet d’otites, d’oreillons et autres rages de dents juvéniles qui n’arrangeaient en rien leur teint de jeune fille. Jours de France,c’était la consolation d’une vie entre l’aspirateur et la machine à laver, les langes crottées et la phosphatine, les chaussettes à repriser et le coït en missionnaire vite fait sur le gaz deux fois par mois.

Jours de france les sacraient reines d’un jour, d’une heure, jusqu’au fatidique c’est à vous, Madame, lancé d’une voix lasse et désabusée par le médecin de famille, héros des petites gens, le saint auquel on se vouait au moindre caprice du thermomètre. Jours de France passait alors entre d’autres mains, de rêve en rêve, de résignation en résignation.

Bon, ben, on va quand même pas sortir les mouchoirs ! Et pour nous autres gamins, il y avait quoi, hein ? Même pas un Spirou, même pas un Tintin, tout au plus un Fripounet tout juste bon pour les arriérés pondus au forceps ! Merde quoi !

Bref, quoi qu’il en fut, le seul moment où nos daronnes nous lâchaient la grappe était lorsqu’un numéro de Jours de France trônait sur la table basse de la salle d’attente. Le moment idéal pour coller un chewing-gum sous la chaise en toute impunité.

Aujourd’hui, à cause de ce foutu covid, il n’y a plus ni mémères ni magazines dans les salles d’attente, et on peut y coller tous les chewing-gums qu’on veut sans le moindre risque de se faire attraper. C’est d’une tristesse…