Anatomie de la pantoufle confinée

Je traîne du matin au soir. Est-ce là une façon de crier au monde ma désapprobation quant au confinement qui s’éternise ? En toute mauvaise foi, je dirais pourquoi pas finalement, et de toute façon, si ni les restaurateurs ni les bistrotiers n’arrivent à se faire entendre à Bercy, ma forme de révolte bien que vaine est tout autant légitime.

Assis sur le trône, je lis et relis les pages les plus fastidieuses du mariage du ciel et de l’enfer de Billy Blake dans l’espoir de fluidifier quelque peu ma constipation, ou devrais-je dire mon transit confiné, mais je ne peux m’empêcher d’éprouver une vive crispation en constatant l’état de mes pantoufles mises à rude épreuve. Depuis de nombreuses semaines, elles n’ont eu de répit, mobilisées en permanence puisque privées de mes absences nombreuses en temps normal. Douces comme un ours en peluche, fières d’épouser les formes nobles des aponévroses plantaires et métatarses d’un randonneur chevronné, honorées de lui offrir quelque répit après de longues distances parcourues, elles se morfondent à présent, déformées, épuisées à force d’arpenter quarante-six mètres carrés de zéro heure à minuit.  

Mais qui s’émeut des états d’âme d’une paire de calceamenta domestica, vulgairement appelées savates sans autre forme de noblesse puisque trop souvent associées au désenchantement des classes populaires en manque d’avenir radieux ? À quel ministère me vouer ? Quel public sensibiliser ?

Je ne sais que trop bien ce qu’en haut lieu on pourrait me répondre :

«  Mais de quoi diable se plaignent vos pantoufles ? Elles au moins on les laisse travailler sans relâche, leur espace disponible ne diffère en rien de celui du monde d’avant, nul couvre-feu ne les pénalise ! »

Et je me ferais reconduire comme un malpropre par un huissier à la mine hautaine, penaud, direction gare de l’est d’où la province regagne la province.

Est-ce ainsi que les Français vivent ? Hum, il me semble avoir déjà répondu à cette question, et pour en revenir à mes pantoufles, l’accueil n’est plus le même à mon retour du superU: la gauche boude sous le lavabo de la salle de bain tandis que la droite, plus avachie et déprimée semble agoniser dans le vestibule après une infructueuse tentative de fuite.

Ô vous, décideurs de tout poil, n’avez-vous donc pas vous aussi de fidèles pantoufles qui vous font fête à votre retour au bercail après une longue et pénible journée à pérenniser le surréalisme sur l’ensemble du territoire ? Ce n’est qu’en nous délivrant à nouveau de toute contrainte que nos fidèles compagnes asphyxiées par nos assiduités retrouveront un peu d’oxygène.

De plus amples informations sur  : www.pantoufles-en-danger.com